Page:Zola - Germinal.djvu/277

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
277
GERMINAL.

souriant, les noyait, les étourdissait, jusqu’à ce que tous criassent : « Oui, oui, c’est bien vrai, tu as raison ! » Pourtant, ce jour-là, dès les premiers mots, il avait senti une opposition sourde. Aussi avançait-il prudemment. Il ne discutait que la continuation de la grève, il attendait d’être applaudi, avant de s’attaquer à l’Internationale. Certes, l’honneur défendait de céder aux exigences de la Compagnie ; mais, que de misères ! quel avenir terrible, s’il fallait s’obstiner longtemps encore ! Et, sans se prononcer pour la soumission, il amollissait les courages, il montrait les corons mourant de faim, il demandait sur quelles ressources comptaient les partisans de la résistance. Trois ou quatre amis essayèrent de l’approuver, ce qui accentua le silence froid du plus grand nombre, la désapprobation peu à peu irritée qui accueillait ses phrases. Alors, désespérant de les reconquérir, la colère l’emporta, il leur prédit des malheurs, s’ils se laissaient tourner la tête par des provocations venues de l’étranger. Les deux tiers s’étaient levés, se fâchaient, voulaient l’empêcher d’en dire davantage, puisqu’il les insultait, en les traitant comme des enfants incapables de se conduire. Et lui, buvant coup sur coup des gorgées de bière, parlait quand même au milieu du tumulte, criait violemment qu’il n’était pas né, bien sûr, le gaillard qui l’empêcherait de faire son devoir !

Pluchart était debout. Comme il n’avait pas de sonnette, il tapait du poing sur la table, il répétait de sa voix étranglée :

— Citoyens… citoyens…

Enfin, il obtint un peu de calme, et la réunion, consultée, retira la parole à Rasseneur. Les délégués qui avaient représenté les fosses, dans l’entrevue avec le directeur, menaient les autres, tous enragés par la faim, travaillés d’idées nouvelles. C’était un vote réglé à l’avance.