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LES ROUGON-MACQUART.

Il bourra Lydie, il les planta l’un et l’autre sur la même ligne, comme des soldats au port d’armes. Puis, passant derrière eux :

— Maintenant, vous allez rester là cinq minutes, sans vous retourner… Nom de Dieu ! si vous vous retournez, il y aura des bêtes qui vous mangeront… Et vous rentrerez ensuite tout droit, et si Bébert touche à Lydie en chemin, je le saurai, je vous ficherai des claques.

Alors, il s’évanouit au fond de l’ombre, avec une telle légèreté, qu’on n’entendit même pas le bruit de ses pieds nus. Les deux enfants demeurèrent immobiles durant les cinq minutes, sans regarder en arrière, par crainte de recevoir une gifle de l’invisible. Lentement, une grande affection était née entre eux, dans leur commune terreur. Lui, toujours, songeait à la prendre, à la serrer très fort entre ses bras, comme il voyait faire aux autres ; et, elle aussi aurait bien voulu, car ça l’aurait changée, d’être ainsi caressée gentiment. Mais ni lui ni elle ne se serait permis de désobéir. Quand ils s’en allèrent, bien que la nuit fût très noire, ils ne s’embrassèrent même pas, ils marchèrent côte à côte, attendris et désespérés, certains que, s’ils se touchaient, le capitaine par derrière leur allongerait des claques.

Étienne, à la même heure, était entré à Réquillart. La veille, Mouquette l’avait supplié de revenir, et il revenait, honteux, pris d’un goût qu’il refusait de s’avouer, pour cette fille qui l’adorait comme un Jésus. C’était, d’ailleurs, dans l’intention de rompre. Il la verrait, il lui expliquerait qu’elle ne devait plus le poursuivre, à cause des camarades. On n’était guère à la joie, ça manquait d’honnêteté, de se payer ainsi des douceurs, quand le monde crevait de faim. Et, ne l’ayant pas trouvée chez elle, il s’était décidé à l’attendre, il guettait les ombres au passage.

Sous le beffroi en ruine, l’ancien puits s’ouvrait, à