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LES ROUGON-MACQUART.

— Et Lydie, demanda de nouveau Étienne, est-ce que tu l’amènes ici, des fois ?

Jeanlin eut un rire méprisant.

— La petite, ah ! non, par exemple !… Les femmes, ça bavarde.

Et il continuait à rire, plein d’un immense dédain pour Lydie et Bébert. Jamais on n’avait vu des enfants si cruches. L’idée qu’ils gobaient toutes ses bourdes, et qu’ils s’en allaient les mains vides, pendant qu’il mangeait la morue, au chaud, lui chatouillait les côtes d’aise. Puis il conclut, avec une gravité de petit philosophe :

— Faut mieux être seul, on est toujours d’accord.

Étienne avait fini son pain. Il but une gorgée de genièvre. Un instant, il s’était demandé s’il n’allait pas mal reconnaître l’hospitalité de Jeanlin, en le ramenant au jour par une oreille, et en lui défendant de marauder davantage, sous la menace de tout dire à son père. Mais, en examinant cette retraite profonde, une idée le travaillait : qui sait s’il n’en aurait pas besoin, pour les camarades ou pour lui, dans le cas où les choses se gâteraient, là-haut ? Il fit jurer à l’enfant de ne pas découcher, comme il lui arrivait de le faire, lorsqu’il s’oubliait dans son foin ; et, prenant un bout de chandelle, il s’en alla le premier, il le laissa ranger tranquillement son ménage.

La Mouquette se désespérait à l’attendre, assise sur une poutre, malgré le grand froid. Quand elle l’aperçut, elle lui sauta au cou ; et ce fut comme s’il lui enfonçait un couteau dans le cœur, lorsqu’il lui dit sa volonté de ne plus la voir. Mon Dieu ! pourquoi ? est-ce qu’elle ne l’aimait point assez ? Craignant de succomber lui-même à l’envie d’entrer chez elle, il l’entraînait vers la route, il lui expliquait, le plus doucement possible, qu’elle le compromettait aux yeux des camarades, qu’elle compro-