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LES ROUGON-MACQUART.

forêt, ils s’étaient réunis cinq cents, parce que le roi ne voulait pas diminuer les heures de travail ; mais il resta court, il commença le récit d’une autre grève : il en avait tant vu ! Toutes aboutissaient sous ces arbres, ici au Plan-des-Dames, là-bas à la Charbonnerie, plus loin encore vers le Saut-du-Loup. Des fois il gelait, des fois il faisait chaud. Un soir, il avait plu si fort, qu’on était rentré sans avoir rien pu se dire. Et les soldats du roi arrivaient, et ça finissait par des coups de fusil.

— Nous levions la main comme ça, nous jurions de ne pas redescendre… Ah ! j’ai juré, oui ! j’ai juré !

La foule écoutait, béante, prise d’un malaise, lorsque Étienne, qui suivait la scène, sauta sur l’arbre abattu et garda le vieillard à son côté. Il venait de reconnaître Chaval parmi les amis, au premier rang. L’idée que Catherine devait être là, l’avait soulevé d’une nouvelle flamme, d’un besoin de se faire acclamer devant elle.

— Camarades, vous avez entendu, voilà un de nos anciens, voilà ce qu’il a souffert et ce que nos enfants souffriront, si nous n’en finissons pas avec les voleurs et les bourreaux.

Il fut terrible, jamais il n’avait parlé si violemment. D’un bras, il maintenait le vieux Bonnemort, il l’étalait comme un drapeau de misère et de deuil, criant vengeance. En phrases rapides, il remontait au premier Maheu, il montrait toute cette famille usée à la mine, mangée par la Compagnie, plus affamée après cent ans de travail ; et, devant elle, il mettait ensuite les ventres de la Régie, qui suaient l’argent, toute la bande des actionnaires entretenus comme des filles depuis un siècle, à ne rien faire, à jouir de leur corps. N’était-ce pas effroyable ? un peuple d’hommes crevant au fond de père en fils, pour qu’on paie des pots-de-vin à des ministres, pour que des générations de grands seigneurs et de bourgeois donnent des fêtes ou s’engraissent au coin de