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GERMINAL.

à peu, une ivresse mauvaise, l’ivresse des affamés, ensanglantait ses yeux, faisait saillir des dents de loup, entre ses lèvres pâlies. Et, brusquement, il s’aperçut que Chaval avait filé, au milieu du tumulte. Il jura, des hommes coururent, on empoigna le fugitif, qui se cachait avec Catherine, derrière la provision des bois.

— Ah ! bougre de salaud, tu as peur de te compromettre ! hurlait Étienne. C’est toi, dans la forêt, qui demandais la grève des machineurs, pour arrêter les pompes, et tu cherches maintenant à nous chier du poivre !… Eh bien ! nom de Dieu ! nous allons retourner à Gaston-Marie, je veux que tu casses la pompe. Oui, nom de Dieu ! tu la casseras !

Il était ivre, il lançait lui-même ses hommes contre cette pompe, qu’il avait sauvée quelques heures plus tôt.

— À Gaston-Marie ! à Gaston-Marie !

Tous l’acclamèrent, se précipitèrent ; pendant que Chaval, saisi aux épaules, entraîné, poussé violemment, demandait toujours qu’on le laissât se laver.

— Va-t’en donc ! cria Maheu à Catherine, qui elle aussi avait repris sa course.

Cette fois, elle ne recula même pas, elle leva sur son père des yeux ardents, et continua de courir.

La bande, de nouveau, sillonna la plaine rase. Elle revenait sur ses pas, par les longues routes droites, par les terres sans cesse élargies. Il était quatre heures, le soleil, qui baissait à l’horizon, allongeait sur le sol glacé les ombres de cette horde, aux grands gestes furieux.

On évita Montsou, on retomba plus haut dans la route de Joiselle ; et, pour s’épargner le détour de la Fourche-aux-Bœufs, on passa sous les murs de la Piolaine. Les Grégoire, précisément, venaient d’en sortir, ayant à rendre une visite au notaire, avant d’aller dîner chez les Hennebeau, où ils devaient retrouver Cécile. La propriété semblait dormir, avec son avenue de tilleuls déserte, son