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GERMINAL.

— C’est peut-être encore les charbonniers, dit la paysanne. Voilà deux fois qu’ils passent. Paraît que ça ne va pas bien, ils sont les maîtres du pays.

Elle lâchait chaque mot avec prudence, elle en guettait l’effet sur les visages ; et, quand elle remarqua l’effroi de tous, la profonde anxiété où la rencontre les jetait, elle se hâta de conclure :

— Oh ! les gueux, oh ! les gueux !

Négrel, voyant qu’il était trop tard pour remonter en voiture et gagner Montsou, donna l’ordre au cocher de rentrer vivement la calèche dans la cour de la ferme, où l’attelage resta caché derrière un hangar. Lui-même attacha sous ce hangar son cheval, dont un galopin avait tenu la bride. Lorsqu’il revint, il trouva sa tante et les jeunes filles éperdues, prêtes à suivre la paysanne, qui leur proposait de se réfugier chez elle. Mais il fut d’avis qu’on était là plus en sûreté, personne ne viendrait certainement les chercher dans ce foin. La porte charretière, pourtant, fermait très mal, et elle avait de telles fentes, qu’on apercevait la route entre ses bois vermoulus.

— Allons, du courage ! dit-il. Nous vendrons notre vie chèrement.

Cette plaisanterie augmenta la peur. Le bruit grandissait, on ne voyait rien encore, et sur la route vide un vent de tempête semblait souffler, pareil à ces rafales brusques qui précèdent les grands orages.

— Non, non, je ne veux pas regarder, dit Cécile en allant se blottir dans le foin.

Madame Hennebeau, très pâle, prise d’une colère contre ces gens qui gâtaient un de ses plaisirs, se tenait en arrière, avec un regard oblique et répugné ; tandis que Lucie et Jeanne, malgré leur tremblement, avaient mis un œil à une fente, désireuses de ne rien perdre du spectacle.