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GERMINAL.

moi qui l’attendrai sur la route, pour lui cracher au visage et le traiter de lâche !

Étienne ne la voyait pas, mais il sentait une chaleur, comme une haleine de bête aboyante ; et il avait reculé, saisi, devant cet enragement qui était son œuvre. Il la trouvait si changée, qu’il ne la reconnaissait plus, de tant de sagesse autrefois, lui reprochant sa violence, disant qu’on ne doit souhaiter la mort de personne, puis à cette heure refusant d’entendre la raison, parlant de tuer le monde. Ce n’était plus lui, c’était elle qui causait politique, qui voulait balayer d’un coup les bourgeois, qui réclamait la république et la guillotine, pour débarrasser la terre de ces voleurs de riches, engraissés du travail des meurt-de-faim.

— Oui, de mes dix doigts, je les écorcherais… En voilà assez, peut-être ! notre tour est venu, tu le disais toi-même… Quand je pense que le père, le grand-père, le père du grand-père, tous ceux d’auparavant, ont souffert ce que nous souffrons, et que nos fils, les fils de nos fils le souffriront encore, ça me rend folle, je prendrais un couteau… L’autre jour, nous n’en avons pas fait assez. Nous aurions dû foutre Montsou par terre, jusqu’à la dernière brique. Et, tu ne sais pas ? je n’ai qu’un regret, c’est de n’avoir pas laissé le vieux étrangler la fille de la Piolaine… On laisse bien la faim étrangler mes petits, à moi !

Ses paroles tombaient comme des coups de hache, dans la nuit. L’horizon fermé n’avait pas voulu s’ouvrir, l’idéal impossible tournait en poison, au fond de ce crâne fêlé par la douleur.

— Vous m’avez mal compris, put enfin dire Étienne, qui battait en retraite. On devrait arriver à une entente avec la Compagnie : je sais que les puits souffrent beaucoup, sans doute elle consentirait à un arrangement.

— Non, rien du tout ! hurla-t-elle.