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GERMINAL.

— Espèce de couleuvre ! ça n’a pas la force d’une fille !… Et veux-tu remplir ta berline ! Hein ? c’est pour ménager tes bras… Nom de Dieu ! je te retiens les dix sous, si tu nous en fais refuser une !

Le jeune homme évitait de répondre, trop heureux jusque là d’avoir trouvé ce travail de bagne, acceptant la brutale hiérarchie du manœuvre et du maître ouvrier. Mais il n’allait plus, les pieds en sang, les membres tordus de crampes atroces, le tronc serré dans une ceinture de fer. Heureusement, il était dix heures, le chantier se décida à déjeuner.

Maheu avait une montre, qu’il ne regarda même pas. Au fond de cette nuit sans astres, jamais il ne se trompait de cinq minutes. Tous remirent leur chemise et leur veste. Puis, descendus de la taille, ils s’accroupirent, les coudes aux flancs, les fesses sur leurs talons, dans cette posture si habituelle aux mineurs, qu’ils la gardent même hors de la mine, sans éprouver le besoin d’un pavé ou d’une poutre pour s’asseoir. Et chacun, ayant sorti son briquet, mordait gravement à l’épaisse tranche, en lâchant de rares paroles sur le travail de la matinée. Catherine, demeurée debout, finit par rejoindre Étienne, qui s’était allongé plus loin, en travers des rails, le dos contre les bois. Il y avait là une place à peu près sèche.

— Tu ne manges pas ? demanda-t-elle, la bouche pleine, son briquet à la main.

Puis, elle se rappela ce garçon errant dans la nuit, sans un sou, sans un morceau de pain peut-être.

— Veux-tu partager avec moi ?

Et, comme il refusait, en jurant qu’il n’avait pas faim, la voix tremblante du déchirement de son estomac, elle continua gaiement :

— Ah ! si tu es dégoûté !… Mais, tiens ! je n’ai mordu que de ce côté-ci, je vais te donner celui-là.