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LES ROUGON-MACQUART.

tolérée chez sa mère, comme une bête encombrante et inutile, lui devenait chaque jour plus intolérable ; et, sans la peur de recevoir quelque mauvais coup de Chaval, elle serait redescendue dès le mardi. Elle reprit en bégayant :

— Qu’est-ce que tu veux ? on ne peut pas vivre sans rien faire. Nous aurions du pain au moins.

La Maheude l’interrompit.

— Écoute, le premier de vous autres qui travaille, je l’étrangle… Ah ! non, ce serait trop fort, de tuer le père et de continuer ensuite à exploiter les enfants ! En voilà assez, j’aime mieux vous voir tous emporter entre quatre planches, comme celui qui est parti déjà.

Et, furieusement, son long silence creva en un flot de paroles. Une belle avance, ce que lui apporterait Catherine ! à peine trente sous, auxquels on pouvait ajouter vingt sous, si les chefs voulaient bien trouver une besogne pour ce bandit de Jeanlin. Cinquante sous, et sept bouches à nourrir ! Les mioches n’étaient bons qu’à engloutir de la soupe. Quant au grand-père, il devait s’être cassé quelque chose dans la cervelle, en tombant, car il semblait imbécile ; à moins qu’il n’eût les sangs tournés, d’avoir vu les soldats tirer sur les camarades.

— N’est-ce pas ? vieux, ils ont achevé de vous démolir. Vous avez beau avoir la poigne encore solide, vous êtes fichu.

Bonnemort la regardait de ses yeux éteints, sans comprendre. Il restait des heures le regard fixe, il n’avait plus que l’intelligence de cracher dans un plat rempli de cendre, qu’on mettait à côté de lui, par propreté.

— Et ils n’ont pas réglé sa pension, poursuivit-elle, et je suis certaine qu’ils la refuseront, à cause de nos idées… Non ! je vous dis qu’en voilà de trop, avec ces gens de malheur !