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LES ROUGON-MACQUART.

beau fut aussi très aimable. Son air riant frappa les convives, le bruit courait que, rentré en faveur près de la Régie, il serait bientôt fait officier de la Légion d’honneur, pour la façon énergique dont il avait dompté la grève. On évitait de parler des derniers événements, mais il y avait du triomphe dans la joie générale, le dîner tournait à la célébration officielle d’une victoire. Enfin, on était donc délivré, on recommençait à manger et à dormir en paix ! Une allusion fut discrètement faite aux morts dont la boue du Voreux avait à peine bu le sang : c’était une leçon nécessaire, et tous s’attendrirent, quand les Grégoire ajoutèrent que, maintenant, le devoir de chacun était d’aller panser les plaies, dans les corons. Eux, avaient repris leur placidité bienveillante, excusant leurs braves mineurs, les voyant déjà, au fond des fosses, donner le bon exemple d’une résignation séculaire. Les notables de Montsou, qui ne tremblaient plus, convinrent que la question du salariat demandait à être étudiée prudemment. Au rôti, la victoire devint complète, lorsque M. Hennebeau lut une lettre de l’évêque, où celui-ci annonçait le déplacement de l’abbé Ranvier. Toute la bourgeoisie de la province commentait avec passion l’histoire de ce prêtre, qui traitait les soldats d’assassins. Et le notaire, comme le dessert paraissait, se posa très résolument en libre penseur.

Deneulin était là, avec ses deux filles. Au milieu de cette allégresse, il s’efforçait de cacher la mélancolie de sa ruine. Le matin même, il avait signé la vente de sa concession de Vandame à la Compagnie de Montsou. Acculé, égorgé, il s’était soumis aux exigences des régisseurs, leur lâchant enfin cette proie guettée si longtemps, leur tirant à peine l’argent nécessaire pour payer ses créanciers. Même il avait accepté, au dernier moment, comme une chance heureuse, leur offre