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GERMINAL.

elle me regardait toujours… J’ai agité mon chapeau, je suis parti.

Il y eut un nouveau silence. L’allée blanche du canal se déroulait à l’infini, tous deux marchaient du même pas étouffé, comme retombés chacun dans son isolement. Au fond de l’horizon, l’eau pâle semblait ouvrir le ciel d’une mince trouée de lumière.

— C’était notre punition, continua durement Souvarine. Nous étions coupables de nous aimer… Oui, cela est bon qu’elle soit morte, il naîtra des héros de son sang, et moi, je n’ai plus de lâcheté au cœur… Ah ! rien, ni parents, ni femme, ni ami ! rien qui fasse trembler la main, le jour où il faudra prendre la vie des autres ou donner la sienne !

Étienne s’était arrêté, frissonnant, sous la nuit fraîche. Il ne discuta pas, il dit simplement :

— Nous sommes loin, veux-tu que nous retournions ?

Ils revinrent vers le Voreux, avec lenteur, et il ajouta, au bout de quelques pas :

— As-tu vu les nouvelles affiches ?

C’étaient de grands placards jaunes que la Compagnie avait encore fait coller dans la matinée. Elle s’y montrait plus nette et plus conciliante, elle promettait de reprendre le livret des mineurs qui redescendraient le lendemain. Tout serait oublié, le pardon était offert même aux plus compromis.

— Oui, j’ai vu, répondit le machineur.

— Eh bien ! qu’est-ce que tu en penses ?

— J’en pense, que c’est fini… Le troupeau redescendra. Vous êtes tous trop lâches.

Étienne, fiévreusement, excusa les camarades : un homme peut être brave, une foule qui meurt de faim est sans force. Pas à pas, ils étaient revenus au Voreux ; et, devant la masse noire de la fosse, il continua, il jura de ne jamais redescendre, lui ; mais il pardonnait à ceux