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LES ROUGON-MACQUART.

qu’ils reculent ! Oui, oui, à cent mètres ! Il y a du danger, repoussez-les, repoussez-les.

Il fallut se battre contre ces pauvres gens. Ils s’imaginaient d’autres malheurs, on les chassait pour leur cacher des morts ; et les porions durent leur expliquer que le puits allait manger la fosse. Cette idée les rendit muets de saisissement, ils finirent par se laisser refouler pas à pas ; mais on fut obligé de doubler les gardiens qui les contenaient ; car, malgré eux, comme attirés, ils revenaient toujours. Un millier de personnes se bousculaient sur la route, on accourait de tous les corons, de Montsou même. Et l’homme, en haut, sur le terri, l’homme blond, à la figure de fille, fumait des cigarettes pour patienter, sans quitter la fosse de ses yeux clairs.

Alors, l’attente commença. Il était midi, personne n’avait mangé, et personne ne s’éloignait. Dans le ciel brumeux, d’un gris sale, passaient lentement des nuées couleur de rouille. Un gros chien, derrière la haie de Rasseneur, aboyait violemment, sans relâche, irrité du souffle vivant de la foule. Et cette foule, peu à peu, s’était répandue dans les terres voisines, avait fait le cercle autour de la fosse, à cent mètres. Au centre du grand vide, le Voreux se dressait. Plus une âme, plus un bruit, un désert ; les fenêtres et les portes, restées ouvertes, montraient l’abandon intérieur ; un chat rouge, oublié, flairant la menace de cette solitude, sauta d’un escalier et disparut. Sans doute les foyers des générateurs s’éteignaient à peine, car la haute cheminée de briques lâchait de légères fumées, sous les nuages sombres ; tandis que la girouette du beffroi grinçait au vent, d’un petit cri aigre, la seule voix mélancolique de ces vastes bâtiments qui allaient mourir.

À deux heures, rien n’avait bougé. M. Hennebeau, Négrel, d’autres ingénieurs accourus, formaient un groupe de redingotes et de chapeaux noirs, en avant du monde ;