Page:Zola - Germinal.djvu/551

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
551
GERMINAL.

— Eh bien ! mon brave homme, dit le père, vous êtes donc enrhumé ?

Le vieux, les yeux au mur, ne tourna pas la tête. Et le silence retomba, lourdement.

— On devrait vous faire un peu de tisane, ajouta la mère.

Il garda sa raideur muette.

— Dis donc, papa, murmura Cécile, on nous avait bien raconté qu’il était infirme ; seulement, nous n’y avons plus songé ensuite…

Elle s’interrompit, très embarrassée. Après avoir posé sur la table un pot-au-feu et deux bouteilles de vin, elle défaisait le deuxième paquet, elle en tirait une paire de souliers énormes. C’était le cadeau destiné au grand-père, et elle tenait un soulier à chaque main, interdite, en contemplant les pieds enflés du pauvre homme, qui ne marcherait jamais plus.

— Hein ? ils viennent un peu tard, n’est-ce pas, mon brave ? reprit M. Grégoire, pour égayer la situation. Ça ne fait rien, ça sert toujours.

Bonnemort n’entendit pas, ne répondit pas, avec son effrayant visage, d’une froideur et d’une dureté de pierre.

Alors, Cécile, furtivement, posa les souliers contre le mur. Mais elle eut beau y mettre des précautions, les clous sonnèrent ; et ces chaussures énormes restèrent gênantes dans la pièce.

— Allez, il ne dira pas merci ! s’écria la Levaque, qui avait jeté sur les souliers un coup d’œil de profonde envie. Autant donner une paire de lunettes à un canard, sauf votre respect.

Elle continua, elle travailla pour entraîner les Grégoire chez elle, comptant les y apitoyer. Enfin, elle imagina un prétexte, elle leur vanta Henri et Lénore, qui étaient bien gentils, bien mignons ; et si intelligents,