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LES ROUGON-MACQUART.

Mais le chargeur, un beau garçon, aux membres forts et au visage doux, refusa d’un geste effrayé.

— Impossible, demande au porion… On me mettrait à l’amende.

De nouveaux grondements furent étouffés. Catherine se pencha, dit à l’oreille d’Étienne :

— Viens donc voir l’écurie. C’est là qu’il fait bon !

Et ils durent s’échapper sans être vus, car il était défendu d’y aller. Elle se trouvait à gauche, au bout d’une courte galerie. Longue de vingt-cinq mètres, haute de quatre, taillée dans le roc et voûtée en briques, elle pouvait contenir vingt chevaux. Il y faisait bon en effet, une bonne chaleur de bêtes vivantes, une bonne odeur de litière fraîche, tenue proprement. L’unique lampe avait une lueur calme de veilleuse. Des chevaux au repos tournaient la tête, avec leurs gros yeux d’enfants, puis se remettaient à leur avoine, sans hâte, en travailleurs gras et bien portants, aimés de tout le monde.

Mais, comme Catherine lisait à voix haute les noms, sur les plaques de zinc, au-dessus des mangeoires, elle eut un léger cri, en voyant un corps se dresser brusquement devant elle. C’était la Mouquette, effarée, qui sortait d’un tas de paille, où elle dormait. Le lundi, lorsqu’elle était trop lasse des farces du dimanche, elle se donnait un violent coup de poing sur le nez, quittait sa taille sous le prétexte d’aller chercher de l’eau, et venait s’enfouir là, avec les bêtes, dans la litière chaude. Son père, d’une grande faiblesse pour elle, la tolérait, au risque d’avoir des ennuis.

Justement, le père Mouque entra, court, chauve, ravagé, mais resté gros quand même, ce qui était rare chez un ancien mineur de cinquante ans. Depuis qu’on en avait fait un palefrenier, il chiquait à un tel point, que ses gencives saignaient dans sa bouche noire. En apercevant les deux autres avec sa fille, il se fâcha.