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GERMINAL.

On n’allait jamais au salon, on demeurait là, en famille.

Justement, M. Grégoire rentrait, vêtu d’un gros veston de futaine, rose lui aussi pour ses soixante ans, avec de grands traits honnêtes et bons, dans la neige de ses cheveux bouclés. Il avait vu le cocher et le jardinier : aucun dégât important, rien qu’un tuyau de cheminée abattu. Chaque matin, il aimait à donner un coup d’œil à la Piolaine, qui n’était pas assez grande pour lui causer des soucis, et dont il tirait tous les bonheurs du propriétaire.

— Et Cécile ? demanda-t-il, elle ne se lève donc pas, aujourd’hui ?

— Je n’y comprends rien, répondit sa femme. Il me semblait l’avoir entendue remuer.

Le couvert était mis, trois bols sur la nappe blanche. On envoya Honorine voir ce que devenait mademoiselle. Mais elle redescendit aussitôt, retenant des rires, étouffant sa voix, comme si elle eût parlé en haut, dans la chambre.

— Oh ! si monsieur et madame voyaient mademoiselle !… Elle dort, oh ! elle dort, ainsi qu’un Jésus… On n’a pas idée de ça, c’est un plaisir à la regarder.

Le père et la mère échangeaient des regards attendris. Il dit en souriant :

— Viens-tu voir ?

— Cette pauvre mignonne ! murmura-t-elle. J’y vais.

Et ils montèrent ensemble. La chambre était la seule luxueuse de la maison, tendue de soie bleue, garnie de meubles laqués, blancs à filets bleus, un caprice d’enfant gâtée satisfait par les parents. Dans les blancheurs vagues du lit, sous le demi-jour qui tombait de l’écartement d’un rideau, la jeune fille dormait, une joue appuyée sur son bras nu. Elle n’était pas jolie, trop saine, trop bien portante, mûre à dix-huit ans ; mais elle avait une chair superbe, une fraîcheur de lait, avec ses