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GERMINAL.

de l’heure, elle courut pieds nus secouer sa mère.

— Maman ! maman ! il est tard. Toi qui as une course… Prends garde ! tu vas écraser Estelle.

Et elle sauva l’enfant, à demi étouffée sous la coulée énorme des seins.

— Sacré bon sort ! bégayait la Maheude, en se frottant les yeux, on est si échiné qu’on dormirait tout le jour… Habille Lénore et Henri, je les emmène ; et tu garderas Estelle, je ne veux pas la traîner, crainte qu’elle ne prenne du mal, par ce temps de chien.

Elle se lavait à la hâte, elle passa un vieux jupon bleu, son plus propre, et un caraco de laine grise, auquel elle avait posé deux pièces la veille.

— Et de la soupe, sacré bon sort ! murmura-t-elle de nouveau.

Pendant que sa mère descendait, bousculant tout, Alzire retourna dans la chambre, où elle emporta Estelle qui s’était mise à hurler. Mais elle était habituée aux rages de la petite, elle avait, à huit ans, des ruses tendres de femme, pour la calmer et la distraire. Doucement, elle la coucha dans son lit encore chaud, elle la rendormit en lui donnant à sucer un doigt. Il était temps, car un autre vacarme éclatait ; et elle dut mettre aussitôt la paix entre Lénore et Henri, qui s’éveillaient enfin. Ces enfants ne s’entendaient guère, ne se prenaient gentiment au cou que lorsqu’ils dormaient. La fille, âgée de six ans, tombait dès son lever sur le garçon, son cadet de deux années, qui recevait les gifles sans les rendre. Tous deux avaient la même tête trop grosse et comme soufflée, ébouriffée de cheveux jaunes. Il fallut qu’Alzire tirât sa sœur par les jambes, en la menaçant de lui enlever la peau du derrière. Puis, ce furent des trépignements pour le débarbouillage, et à chaque vêtement qu’elle leur passait. On évitait d’ouvrir les persiennes, afin de ne pas troubler le sommeil du père Bonnemort. Il