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L’ASSOMMOIR.

canait ; il était très vaniteux de travailler l’or, il en voyait comme un reflet sur ses doigts et sur toute sa personne. Enfin, disait-il souvent, les bijoutiers, au temps jadis, portaient l’épée ; et il citait Bernard Palissy, sans savoir. Coupeau, lui, racontait une girouette, un chef-d’œuvre d’un de ses camarades ; ça se composait d’une colonne, puis d’une gerbe, puis d’une corbeille de fruits, puis d’un drapeau ; le tout, très bien reproduit, fait rien qu’avec des morceaux de zinc découpés et soudés. Madame Lerat montrait à Bibi-la-Grillade comment on tournait une queue de rose, en roulant le manche de son couteau entre ses doigts osseux. Cependant, les voix montaient, se croisaient ; on entendait, dans le bruit, des mots lancés très haut par madame Fauconnier, en train de se plaindre de ses ouvrières, d’un petit chausson d’apprentie qui lui avait encore brûlé, la veille, une paire de draps.

— Vous avez beau dire, cria Lorilleux en donnant un coup de poing sur la table, l’or, c’est de l’or.

Et, au milieu du silence causé par cette vérité, il n’y eut plus que la voix fluette de mademoiselle Remanjou, continuant :

— Alors, je leur relève la jupe, je couds en dedans… Je leur plante une épingle dans la tête pour tenir le bonnet… Et c’est fait, on les vend treize sous.

Elle expliquait ses poupées à Mes-Bottes, dont les mâchoires, lentement, roulaient comme des meules. Il n’écoutait pas, il hochait la tête, guettant les garçons, pour ne pas leur laisser emporter les plats sans les avoir torchés. On avait mangé un fricandeau au jus et des haricots verts. On apportait le rôti, deux poulets maigres, couchés sur un lit de cresson, fané et cuit par le four. Au dehors, le soleil se mourait sur les branches hautes des acacias. Dans la salle, le reflet