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LES ROUGON-MACQUART.

et déterminée, Gervaise achevait de ranger la chambre. Elle faisait le lit des enfants, qu’elle venait de lever et d’habiller. Il la regarda donner un coup de balai, essuyer les meubles ; la pièce restait noire, lamentable, avec son plafond fumeux, son papier décollé par l’humidité, ses trois chaises et sa commode éclopées, où la crasse s’entêtait et s’étalait sous le torchon. Puis, pendant qu’elle se lavait à grande eau, après avoir rattaché ses cheveux, devant le petit miroir rond, pendu à l’espagnolette, qui lui servait pour se raser, il parut examiner ses bras nus, son cou nu, tout le nu qu’elle montrait, comme si des comparaisons s’établissaient dans son esprit. Et il eut une moue des lèvres. Gervaise boitait de la jambe droite ; mais on ne s’en apercevait guère que les jours de fatigue, quand elle s’abandonnait, les hanches brisées. Ce matin-là, rompue par sa nuit, elle traînait sa jambe, elle s’appuyait aux murs.

Le silence régnait, ils n’avaient plus échangé une parole. Lui, semblait attendre. Elle, rongeant sa douleur, s’efforçant d’avoir un visage indifférent, se hâtait. Comme elle faisait un paquet du linge sale jeté dans un coin, derrière la malle, il ouvrit enfin les lèvres, il demanda :

— Qu’est-ce que tu fais ? … Où vas-tu ?

Elle ne répondit pas d’abord. Puis, lorsqu’il répéta sa question, furieusement, elle se décida.

— Tu le vois bien, peut-être… Je vais laver tout ça… Les enfants ne peuvent pas vivre dans la crotte.

Il lui laissa ramasser deux ou trois mouchoirs. Et, au bout d’un nouveau silence, il reprit :

— Est-ce que tu as de l’argent ?

Du coup, elle se releva, le regarda en face, sans lâcher les chemises sales des petits qu’elle tenait à la main.