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L’ASSOMMOIR.

baisser le nez, quand il passait. Il n’aimait pas leurs gros mots, trouvait ça dégoûtant que des femmes eussent sans cesse des saletés à la bouche. Un jour pourtant, il était rentré gris. Alors, madame Goujet, pour tout reproche, l’avait mis en face d’un portrait de son père, une mauvaise peinture cachée pieusement au fond de la commode. Et, depuis cette leçon, Goujet ne buvait plus qu’à sa suffisance, sans haine pourtant contre le vin, car le vin est nécessaire à l’ouvrier. Le dimanche, il sortait avec sa mère, à laquelle il donnait le bras ; le plus souvent, il la menait du côté de Vincennes ; d’autres fois, il la conduisait au théâtre. Sa mère restait sa passion. Il lui parlait encore comme s’il était tout petit. La tête carrée, la chair alourdie par le rude travail du marteau, il tenait des grosses bêtes : dur d’intelligence, bon tout de même.

Les premiers jours, Gervaise le gêna beaucoup. Puis, en quelques semaines, il s’habitua à elle. Il la guettait pour lui monter ses paquets, la traitait en sœur, avec une brusque familiarité, découpant des images à son intention. Cependant, un matin, ayant tourné la clef sans frapper, il la surprit à moitié nue, se lavant le cou ; et, de huit jours, il ne la regarda pas en face, si bien qu’il finissait par la faire rougir elle-même.

Cadet-Cassis, avec son bagou parisien, trouvait la Gueule-d’Or bêta. C’était bien de ne pas licher, de ne pas souffler dans le nez des filles, sur les trottoirs ; mais il fallait pourtant qu’un homme fût un homme, sans quoi autant valait-il tout de suite porter des jupons. Il le blaguait devant Gervaise, en l’accusant de faire de l’œil à toutes les femmes du quartier ; et ce tambour-major de Goujet se défendait violemment.