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LES ROUGON-MACQUART.

— Eh bien ! et votre boutique, quand la louez-vous ?

— Oui, ricana Lorilleux, le concierge vous attend encore.

Gervaise resta suffoquée. Elle avait complètement oublié la boutique. Mais elle voyait la joie mauvaise de ces gens, à la pensée que désormais la boutique était flambée. Dès ce soir-là, en effet, ils guettèrent les occasions pour la plaisanter sur son rêve tombé à l’eau. Quand on parlait d’un espoir irréalisable, ils renvoyaient la chose au jour où elle serait patronne, dans un beau magasin donnant sur la rue. Et, derrière elle, c’étaient des gorges chaudes. Elle ne voulait pas faire d’aussi vilaines suppositions ; mais, en vérité, les Lorilleux avaient l’air maintenant d’être très-contents de l’accident de Coupeau, qui l’empêchait de s’établir blanchisseuse rue de la Goutte-d’Or.

Alors, elle-même voulut rire et leur montrer combien elle sacrifiait volontiers l’argent pour la guérison de son mari. Chaque fois qu’elle prenait en leur présence le livret de la Caisse d’épargne, sous le globe de la pendule, elle disait gaiement :

— Je sors, je vais louer ma boutique.

Elle n’avait pas voulu retirer l’argent tout d’une fois. Elle le redemandait par cent francs, pour ne pas garder un si gros tas de pièces dans sa commode ; puis, elle espérait vaguement quelque miracle, un rétablissement brusque, qui leur permettrait de ne pas déplacer la somme entière. À chaque course à la Caisse d’épargne, quand elle rentrait, elle additionnait sur un bout de papier l’argent qu’ils avaient encore là-bas. C’était uniquement pour le bon ordre. Le trou avait beau se creuser dans la monnaie, elle tenait, de