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L’ASSOMOIR.

— Ça, c’est du nanan ! cria Clémence, en ouvrant un nouveau paquet.

Gervaise, prise brusquement d’une grande répugnance, s’était reculée.

— Le paquet de madame Gaudron, dit-elle. Je ne veux plus la blanchir, je cherche un prétexte… Non, je ne suis pas plus difficile qu’une autre, j’ai touché à du linge bien dégoûtant dans ma vie ; mais, vrai, celui-là, je ne peux pas. Ça me ferait jeter du cœur sur du carreau… Qu’est-ce qu’elle fait donc, cette femme, pour mettre son linge dans un état pareil !

Et elle pria Clémence de se dépêcher. Mais l’ouvrière continuait ses remarques, fourrait ses doigts dans les trous, avec des allusions sur les pièces, qu’elle agitait comme les drapeaux de l’ordure triomphante. Cependant, les tas avaient monté autour de Gervaise. Maintenant, toujours assise au bord du tabouret, elle disparaissait entre les chemises et les jupons ; elle avait devant elle les draps, les pantalons, les nappes, une débâcle de malpropreté ; et, là dedans, au milieu de cette mare grandissante, elle gardait ses bras nus, son cou nu, avec ses mèches de petits cheveux blonds collés à ses tempes, plus rose et plus alanguie. Elle retrouvait son air posé, son sourire de patronne attentive et soigneuse, oubliant le linge de madame Gaudron, ne le sentant plus, fouillant d’une main dans les tas pour voir s’il n’y avait pas d’erreur. Ce louchon d’Augustine, qui adorait jeter des pelletées de coke dans la mécanique, venait de la bourrer à un tel point, que les plaques de fonte rougissaient. Le soleil oblique battait la devanture, la boutique flambait. Alors, Coupeau, que la grosse chaleur grisait davantage, fut pris d’une soudaine tendresse. Il s’avança vers Gervaise, les bras ouverts, très ému.