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L’ASSOMOIR.

heures du matin. Une lampe pendait du plafond, à un fil de fer ; l’abat-jour jetait un grand rond de clarté vive, dans lequel les linges prenaient des blancheurs molles de neige. L’apprentie mettait les volets de la boutique ; mais, comme les nuits de juillet étaient brûlantes, on laissait la porte ouverte sur la rue. Et, à mesure que l’heure avançait, les ouvrières se dégrafaient, pour être à l’aise. Elles avaient une peau fine, toute dorée dans le coup de lumière de la lampe, Gervaise surtout, devenue grasse, les épaules blondes, luisantes comme une soie, avec un pli de bébé au cou, dont il aurait dessiné de souvenir la petite fossette, tant il le connaissait. Alors, il était pris par la grosse chaleur de la mécanique, par l’odeur des linges fumant sous les fers ; et il glissait à un léger étourdissement, la pensée ralentie, les yeux occupés de ces femmes qui se hâtaient, balançant leurs bras nus, passant la nuit à endimancher le quartier. Autour de la boutique, les maisons voisines s’endormaient, le grand silence du sommeil tombait lentement. Minuit sonnait, puis une heure, puis deux heures. Les voitures, les passants s’en étaient allés. Maintenant, dans la rue déserte et noire, la porte envoyait seule une raie de jour, pareille à un bout d’étoffe jaune déroulé à terre. Par moments, un pas sonnait au loin, un homme approchait ; et, lorsqu’il traversait la raie de jour, il allongeait la tête, surpris des coups de fer qu’il entendait, emportant la vision rapide des ouvrières dépoitraillées, dans une buée rousse.

Goujet, voyant Gervaise embarrassée d’Étienne, et voulant le sauver des coups de pied au derrière de Coupeau, l’avait embauché pour tirer le soufflet, à sa fabrique de boulons. L’état de cloutier, s’il n’avait