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LES ROUGON-MACQUART.

branle, flambante d’un incendie, emplie d’un pétillement d’étincelles vives. Ils lui forgeaient là un amour, ils se la disputaient, à qui forgerait le mieux. Et, vrai, cela lui faisait plaisir au fond ; car enfin les femmes aiment les compliments. Les coups de marteau de la Gueule-d’Or surtout lui répondaient dans le cœur ; ils y sonnaient, comme sur l’enclume, une musique claire, qui accompagnait les gros battements de son sang. Ça semble une bêtise, mais elle sentait que ça lui enfonçait quelque chose là, quelque chose de solide, un peu du fer du boulon. Au crépuscule, avant d’entrer, elle avait eu, le long des trottoirs humides, un désir vague, un besoin de manger un bon morceau ; maintenant, elle se trouvait satisfaite, comme si les coups de marteau de la Gueule-d’Or l’avaient nourrie. Oh ! elle ne doutait pas de sa victoire. C’était à lui qu’elle appartiendrait. Bec-Salé, dit Boit-sans-Soif, était trop laid, dans sa cotte et son bourgeron sales, sautant d’un air de singe échappé. Et elle attendait, très rouge, heureuse de la grosse chaleur pourtant, prenant une jouissance à être secouée des pieds à la tête par les dernières volées de Fifine.

Goujet comptait toujours.

— Et vingt-huit ! cria-t-il enfin, en posant le marteau à terre. C’est fait, vous pouvez voir.

La tête du boulon était polie, nette, sans une bavure, un vrai travail de bijouterie, une rondeur de bille faite au moule. Les ouvriers la regardèrent en hochant le menton ; il n’y avait pas à dire, c’était à se mettre à genoux devant. Bec-Salé, dit Boit-sans-Soif, essaya bien de blaguer ; mais il barbota, il finit par retourner à son enclume, le nez pincé. Cependant, Gervaise s’était serrée contre Goujet, comme pour mieux voir. Étienne avait lâché le soufflet, la forge de nouveau