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LES ROUGON-MACQUART.

cher. Un jour même, la police est venue. Lantier avait voulu une soupe à l’huile, une horreur qu’ils mangent dans le Midi ; et, comme Adèle trouvait ça infect, ils se sont jeté la bouteille d’huile à la figure, la casserole, la soupière, tout le tremblement ; enfin, une scène à révolutionner un quartier.

Elle raconta d’autres tueries, elle ne tarissait pas sur le ménage, savait des choses à faire dresser les cheveux sur la tête. Gervaise écoutait toute cette histoire, sans un mot, la face pâle, avec un pli nerveux aux coins des lèvres qui ressemblait à un petit sourire. Depuis bientôt sept ans, elle n’avait plus entendu parler de Lantier. Jamais elle n’aurait cru que le nom de Lantier, ainsi murmuré à son oreille, lui causerait une pareille chaleur au creux de l’estomac. Non, elle ne se savait pas une telle curiosité de ce que devenait ce malheureux, qui s’était si mal conduit avec elle. Elle ne pouvait plus être jalouse d’Adèle, maintenant ; mais elle riait tout de même en dedans des raclées du ménage, elle voyait le corps de cette fille plein de bleus, et ça la vengeait, ça l’amusait. Aussi serait-elle restée là jusqu’au lendemain matin, à écouter les rapports de Virginie. Elle ne posait pas de questions, parce qu’elle ne voulait pas paraître intéressée tant que ça. C’était comme si, brusquement, on comblait un trou pour elle ; son passé, à cette heure, allait droit à son présent.

Cependant, Virginie finit par remettre son nez dans son verre ; elle suçait le sucre, les yeux à demi fermés. Alors, Gervaise, comprenant qu’elle devait dire quelque chose, prit un air indifférent, demanda :

— Et ils demeurent toujours à la Glacière ?

— Mais non ! répondit l’autre ; je ne vous ai donc pas raconté ?… Voici huit jours qu’ils ne sont plus