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LES ROUGON-MACQUART.

et s’installa sur la même rangée, à cinq baquets de distance.

— En voilà un caprice ! continuait madame Boche, à voix plus basse. Jamais elle ne savonne une paire de manches… Ah ! une fameuse fainéante, je vous en réponds ! Une couturière qui ne recoud pas seulement ses bottines ! C’est comme sa sœur, la brunisseuse, cette gredine d’Adèle, qui manque l’atelier deux jours sur trois ! Ça n’a ni père ni mère connus, ça vit d’on ne sait quoi, et si l’on voulait parler… Qu’est-ce qu’elle frotte donc là ? Hein ! c’est un jupon ? Il est joliment dégoûtant, il a dû en voir de propres, ce jupon !

Madame Boche, évidemment, voulait faire plaisir à Gervaise. La vérité était qu’elle prenait souvent le café avec Adèle et Virginie, quand les petites avaient de l’argent. Gervaise ne répondait pas, se dépêchait, les mains fiévreuses. Elle venait de faire son bleu, dans un petit baquet monté sur trois pieds. Elle trempait ses pièces de blanc, les agitait un instant au fond de l’eau teintée, dont le reflet prenait une pointe de laque ; et, après les avoir tordues légèrement, elle les alignait sur les barres de bois, en haut. Pendant toute cette besogne, elle affectait de tourner le dos à Virginie. Mais elle entendait ses ricanements, elle sentait sur elle ses regards obliques. Virginie semblait n’être venue que pour la provoquer. Un instant, Gervaise s’étant retournée, elles se regardèrent toutes deux, fixement.

— Laissez-la donc, murmura madame Boche. Vous n’allez peut-être pas vous prendre aux cheveux… Quand je vous dis qu’il n’y a rien ! Ce n’est pas elle,  !

À ce moment, comme la jeune femme pendait sa