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Page:Zola - L'Assommoir.djvu/252

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LES ROUGON-MACQUART.

un troisième fourneau en terre emprunté aux Boche. À trois heures et demie, le pot-au-feu bouillait dans une grosse marmite, prêtée par le restaurant d’à côté, la marmite du ménage ayant semblé trop petite. On avait décidé d’accommoder la veille la blanquette de veau et l’épinée de cochon, parce que ces plats-là sont meilleurs réchauffés ; seulement, on ne lierait la sauce de la blanquette qu’au moment de se mettre à table. Il resterait encore bien assez de besogne pour le lundi, le potage, les pois au lard, l’oie rôtie. La chambre du fond était tout éclairée par les trois brasiers ; des roux graillonnaient dans les poêlons, avec une fumée forte de farine brûlée ; tandis que la grosse marmite soufflait des jets de vapeur comme une chaudière, les flancs secoués par des glouglous graves et profonds. Maman Coupeau et Gervaise, un tablier blanc noué devant elles, emplissaient la pièce de leur hâte à éplucher du persil, à courir après le poivre et le sel, à tourner la viande avec la mouvette de bois. Elles avaient mis Coupeau dehors pour débarrasser le plancher. Mais elles eurent quand même du monde sur le dos toute l’après-midi. Ça sentait si bon la cuisine, dans la maison, que les voisines descendirent les unes après les autres, entrèrent sous des prétextes, uniquement pour savoir ce qui cuisait ; et elles se plantaient là, en attendant que la blanchisseuse fût forcée de lever les couvercles. Puis, vers cinq heures, Virginie parut ; elle avait encore vu Lantier ; décidément, on ne mettait plus les pieds dans la rue sans le rencontrer. Madame Boche, elle aussi, venait de l’apercevoir au coin du trottoir, avançant la tête d’un air sournois. Alors, Gervaise, qui justement allait acheter un sou d’ognons brûlés pour le pot-au-feu, fut prise d’un tremblement et