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LES ROUGON-MACQUART.

porte de la boutique grande ouverte, tandis que madame Lorilleux, en robe de soie, s’arrêtait sur le seuil. Tous les invités s’étaient levés, Gervaise s’avança, embrassa sa belle-sœur, comme il était convenu, en disant :

— Allons, entrez. C’est fini, n’est-ce pas ?… Nous serons gentilles toutes les deux.

Et madame Lorilleux répondit :

— Je ne demande pas mieux que ça dure toujours.

Quand elle fut entrée, Lorilleux s’arrêta également sur le seuil, et il attendit aussi d’être embrassé, avant de pénétrer dans la boutique. Ni l’un ni l’autre n’avait apporté de bouquet ; ils s’y étaient refusés, ils trouvaient qu’ils auraient trop l’air de se soumettre à la Banban, s’ils arrivaient chez elle avec des fleurs, la première fois. Cependant, Gervaise criait à Augustine de donner deux litres. Puis, sur un bout de la table, elle versa des verres de vin, appela tout le monde. Et chacun prit un verre, on trinqua à la bonne amitié de la famille. Il y eut un silence, la société buvait, les dames levaient le coude, d’un trait, jusqu’à la dernière goutte.

— Rien n’est meilleur avant la soupe, déclara Boche, avec un claquement de langue. Ça vaut mieux qu’un coup de pied au derrière.

Maman Coupeau s’était placée en face de la porte, pour voir le nez des Lorilleux. Elle tirait Gervaise par la jupe, elle l’emmena dans la pièce du fond. Et, toutes deux penchées au-dessus du potage, elles causèrent vivement, à voix basse.

— Hein ? quel pif ! dit la vieille femme. Vous n’avez pas pu les voir, vous. Mais moi, je les guettais… Quand elle a aperçu la table, tenez ! sa figure s’est tortillée comme ça, les coins de sa bouche sont mon-