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LES ROUGON-MACQUART.

sans jamais rencontrer un os. Boche la fit asseoir près de lui ; et, tout de suite, sournoisement, il prit son genou, sous la table. Mais elle, habituée à ça, vidait tranquillement un verre de vin, en racontant que les voisins étaient aux fenêtres, et que des gens, dans la maison, commençaient à se fâcher.

— Oh ! ça, c’est notre affaire, dit madame Boche. Nous sommes les concierges, n’est-ce pas ? Eh bien, nous répondons de la tranquillité… Qu’ils viennent se plaindre, nous les recevrons joliment.

Dans la pièce du fond, il venait d’y avoir une bataille furieuse entre Nana et Augustine, à propos de la rôtissoire, que toutes les deux voulaient torcher. Pendant un quart d’heure, la rôtissoire avait rebondi sur le carreau, avec un bruit de vieille casserole. Maintenant, Nana soignait le petit Victor, qui avait un os d’oie dans le gosier ; elle lui fourrait les doigts sous le menton, en le forçant à avaler de gros morceaux de sucre, comme médicament. Ça ne l’empêchait pas de surveiller la grande table. Elle venait à chaque instant demander du vin, du pain, de la viande, pour Étienne et Pauline.

— Tiens ! crève ! lui disait sa mère. Tu me ficheras la paix, peut-être !

Les enfants ne pouvaient plus avaler, mais ils mangeaient tout de même, en tapant leur fourchette sur un air de cantique, afin de s’exciter.

Au milieu du bruit, cependant, une conversation s’était engagée entre le père Bru et maman Coupeau. Le vieux, que la nourriture et le vin laissaient blême, parlait de ses fils morts en Crimée. Ah ! si les petits avaient vécu, il aurait eu du pain tous les jours. Mais maman Coupeau, la langue un peu épaisse, se penchant, lui disait :