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L’ASSOMMOIR.

Alors, on ricana devant le dessert. Ça ne comptait pas, le dessert. Il arrivait un peu tard, mais ça ne faisait rien, on allait tout de même le caresser. Quand on aurait dû éclater comme des bombes, on ne pouvait pas se laisser embêter par des fraises et du gâteau. D’ailleurs, rien ne pressait, on avait le temps, la nuit entière si l’on voulait. En attendant, on emplit les assiettes de fraises et de fromage blanc. Les hommes allumaient les pipes ; et, comme les bouteilles cachetées étaient vides, ils revenaient aux litres, ils buvaient du vin en fumant. Mais on voulut que Gervaise coupât tout de suite le gâteau de Savoie. Poisson, très galant, se leva pour prendre la rose, qu’il offrit à la patronne, aux applaudissements de la société. Elle dut l’attacher avec une épingle, sur le sein gauche, du côté du cœur. À chacun de ses mouvements, le papillon voltigeait.

— Dites donc ! s’écria Lorilleux, qui venait de faire une découverte, mais c’est sur votre établi que nous mangeons !… Ah bien ! on n’a peut-être jamais autant travaillé dessus !

Cette plaisanterie méchante eut un grand succès. Les allusions spirituelles se mirent à pleuvoir : Clémence n’avalait plus une cuillerée de fraises, sans dire qu’elle donnait un coup de fer ; madame Lerat prétendait que le fromage blanc sentait l’amidon ; tandis que madame Lorilleux, entre ses dents, répétait que c’était trouvé, bouffer si vite l’argent, sur les planches où l’on avait eu tant de peine à le gagner. Une tempête de rires et de cris montait.

Mais, brusquement, une voix forte imposa silence à tout le monde. C’était Boche, debout, prenant un air déhanché et canaille, qui chantait le Volcan d’amour ou le Troupier séduisant.