— Ma chère, il est toujours chez François, il fait semblant de lire le journal… Bien sûr, il y a quelque coup de mistoufle.
Elle parlait de Lantier. C’était lui qu’elle allait ainsi guetter. À chaque nouveau rapport, Gervaise devenait grave.
— Est-ce qu’il est soûl ? demanda-t-elle à Virginie.
— Non, répondit la grande brune. Il a l’air rassis. C’est ça surtout qui est inquiétant. Hein ! pourquoi reste-t-il chez le marchand de vin, s’il est rassis ?… Mon Dieu ! mon Dieu ! pourvu qu’il n’arrive rien !
La blanchisseuse, très inquiète, la supplia de se taire. Un profond silence, tout d’un coup, s’était fait. Madame Putois venait de se lever et chantait : À l’abordage ! Les convives, muets et recueillis, la regardaient ; même Poisson avait posé sa pipe au bord de la table, pour mieux l’entendre. Elle se tenait raide, petite et rageuse, la face blême sous son bonnet noir ; elle lançait son poing gauche en avant avec une fierté convaincue, en grondant d’une voix plus grosse qu’elle :
- Qu’un forban téméraire
- Nous chasse vent arrière !
- Malheur au flibustier !
- Pour lui point de quartier !
- Enfants, aux caronades !
- Rhum à pleines rasades !
- Pirates et forbans
- Sont gibiers de haubans !
Ça, c’était du sérieux. Mais, sacré mâtin ! ça donnait une vraie idée de la chose. Poisson, qui avait voyagé sur mer, dodelinait de la tête pour approuver les détails. On sentait bien, d’ailleurs, que cette chanson-là était dans le sentiment de madame Putois.