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L’ASSOMMOIR.

au spectacle. Il y avait des militaires, des bourgeois en redingote, trois petites filles de cinq ou six ans, se tenant par la main, très graves, émerveillées. Et Lantier, en effet, se trouvait planté là au premier rang, écoutant et regardant d’un air tranquille. Pour le coup, c’était du toupet. Gervaise sentit un froid lui monter des jambes au cœur, et elle n’osait plus bouger, pendant que le père Bru continuait :

Trou la la, trou la la,
Trou la, trou la, trou la la !

— Ah bien ! non, mon vieux, il y en a assez ! dit Coupeau. Est-ce que vous la savez tout entière ?… Vous nous la chanterez un autre jour, hein ! quand nous serons trop gais.

Il y eut des rires. Le vieux resta court, fit de ses yeux pâles le tour de la table, et reprit son air de brute songeuse. Le café était bu, le zingueur avait redemandé du vin. Clémence venait de se remettre à manger des fraises. Pendant un instant, les chansons cessèrent, on parlait d’une femme qu’on avait trouvée pendue le matin, dans la maison d’à côté. C’était le tour de madame Lerat, mais il lui fallait des préparatifs. Elle trempa le coin de sa serviette dans un verre d’eau et se l’appliqua sur les tempes, parce qu’elle avait trop chaud. Ensuite, elle demanda une larme d’eau-de-vie, la but, s’essuya longuement les lèvres.

— L’Enfant du bon Dieu, n’est-ce pas ? murmura-t-elle, l’Enfant du bon Dieu

Et, grande, masculine, avec son nez osseux et ses épaules carrées de gendarme, elle commença :

L’enfant perdu que sa mère abandonne,
Trouve toujours un asile au saint lieu.
Dieu qui le voit le défend de son trône.
L’enfant perdu, c’est l’enfant du bon Dieu.