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LES ROUGON-MACQUART.

choses naturelles. L’oie la gênait un peu ; elle en avait trop mangé, décidément, et ça l’empêchait de penser. Une paresse heureuse l’engourdissait, la tenait tassée au bord de la table, avec le seul besoin de n’être pas embêtée. Mon Dieu ! à quoi bon se faire de la bile, lorsque les autres ne s’en font pas, et que les histoires paraissent s’arranger d’elles-mêmes, à la satisfaction générale ? Elle se leva pour aller voir s’il restait du café.

Dans la pièce du fond, les enfants dormaient. Ce louchon d’Augustine les avait terrorisés pendant tout le dessert, leur chipant leurs fraises, les intimidant par des menaces abominables. Maintenant, elle était très malade, accroupie sur un petit banc, la figure blanche, sans rien dire. La grosse Pauline avait laissé tomber sa tête contre l’épaule d’Étienne, endormi lui-même au bord de la table. Nana se trouvait assise sur la descente de lit, auprès de Victor, qu’elle tenait contre elle, un bras passé autour de son cou ; et, ensommeillée, les yeux fermés, elle répétait d’une voix faible et continue :

— Oh ! maman, j’ai bobo… oh ! maman, j’ai bobo…

— Pardi ! murmura Augustine, dont la tête roulait sur les épaules, ils sont paf ; ils ont chanté comme les grandes personnes.

Gervaise reçut un nouveau coup, à la vue d’Étienne. Elle se sentit étouffer, en songeant que le père de ce gamin était là, à côté, en train de manger du gâteau, sans qu’il eût seulement témoigné le désir d’embrasser le petit. Elle fut sur le point de réveiller Étienne, de l’apporter dans ses bras. Puis, une fois encore, elle trouva très bien la façon tranquille dont s’arrangeaient les choses. Il n’aurait pas été convenable, sûrement, de troubler la fin du dîner. Elle revint avec