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LES ROUGON-MACQUART.

— Salope ! salope ! salope ! hurla Gervaise, hors d’elle, reprise par un tremblement furieux.

Elle tourna, chercha une fois encore par terre ; et, ne trouvant que le petit baquet, elle le prit par les pieds, lança l’eau du bleu à la figure de Virginie.

— Rosse ! elle m’a perdu ma robe ! cria celle-ci, qui avait toute une épaule mouillée et sa main gauche teinte en bleu. Attends, gadoue !

À son tour, elle saisit un seau, le vida sur la jeune femme. Alors, une bataille formidable s’engagea. Elles couraient toutes deux le long des baquets, s’emparant des seaux pleins, revenant se les jeter à la tête. Et chaque déluge était accompagné d’un éclat de voix. Gervaise elle-même répondait, à présent.

— Tiens ! saleté !… Tu l’as reçu celui-là. Ça te calmera le derrière.

— Ah ! la carne ! Voilà pour ta crasse. Débarbouille-toi une fois dans ta vie.

— Oui, oui, je vas te dessaler, grande morue !

— Encore un !… Rince-toi les dents, fais ta toilette pour ton quart de ce soir, au coin de la rue Belhomme.

Elles finirent par emplir les seaux aux robinets. Et, en attendant qu’ils fussent pleins, elles continuaient leurs ordures. Les premiers seaux, mal lancés, les touchaient à peine. Mais elles se faisaient la main. Ce fut Virginie qui, la première, en reçut un en pleine figure ; l’eau, entrant par son cou, coula dans son dos et dans sa gorge, pissa par-dessous sa robe. Elle était encore tout étourdie, quand un second la prit de biais, lui donna une forte claque contre l’oreille gauche, en trempant son chignon, qui se déroula comme une ficelle. Gervaise fut d’abord atteinte aux jambes ; un seau lui emplit ses souliers, rejaillit jusqu’à ses