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Page:Zola - L'Assommoir.djvu/326

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LES ROUGON-MACQUART.

lui pour l’embrasser, qu’elle aurait eu moins de honte. C’était un drôle de garçon tout de même, de lui proposer un enlèvement, comme cela se passe dans les romans et dans la haute société. Ah bien ! autour d’elle, elle voyait des ouvriers faire la cour à des femmes mariées ; mais ils ne les menaient pas même à Saint-Denis, ça se passait sur place, et carrément.

— Ah ! monsieur Goujet, monsieur Goujet… murmurait-elle, sans trouver autre chose.

— Enfin, voilà, nous ne serions que tous les deux, reprit-il. Les autres me gênent, vous comprenez ?… Quand j’ai de l’amitié pour une personne, je ne peux pas voir cette personne avec d’autres.

Mais elle se remettait, elle refusait maintenant, d’un air raisonnable.

— Ce n’est pas possible, monsieur Goujet. Ce serait très mal… Je suis mariée, n’est-ce pas ? j’ai des enfants… Je sais bien que vous avez de l’amitié pour moi et que je vous fais de la peine. Seulement, nous aurions des remords, nous ne goûterions pas de plaisir… Moi aussi, j’éprouve de l’amitié pour vous, j’en éprouve trop pour vous laisser commettre des bêtises. Et ce seraient des bêtises, bien sûr… Non, voyez-vous, il vaut mieux demeurer comme nous sommes. Nous nous estimons, nous nous trouvons d’accord de sentiment. C’est beaucoup, ça m’a soutenue plus d’une fois. Quand on reste honnête, dans notre position, on en est joliment récompensé.

Il hochait la tête, en l’écoutant. Il l’approuvait, il ne pouvait pas dire le contraire. Brusquement, dans le grand jour, il la prit entre ses bras, la serra à l’écraser, lui posa un baiser furieux sur le cou, comme s’il avait voulu lui manger la peau. Puis, il la lâcha,