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L’ASSOMMOIR.

— Mon Dieu ! que je suis malheureuse !… Mon Dieu que je suis malheureuse !… En prison, oui, c’est en prison qu’ils me feront mourir !

Et dès qu’une visite lui arrivait, Virginie ou madame Boche, pour lui demander comment allait la santé, elle ne répondait pas, elle entamait tout de suite le chapitre de ses plaintes.

— Ah ! il est cher, le pain que je mange ici ! Non, je ne souffrirais pas autant chez des étrangers !… Tenez, j’ai voulu une tasse de tisane, eh bien ! on m’en a apporté plein un pot à eau, une manière de me reprocher d’en trop boire… C’est comme Nana, cette enfant que j’ai élevée, elle se sauve nu-pieds, le matin, et je ne la revois plus. On croirait que je sens mauvais. Pourtant, la nuit, elle dort joliment, elle ne se réveillerait pas une seule fois pour me demander si je souffre… Enfin, je les embarrasse, ils attendent que je crève. Oh ! ce sera bientôt fait. Je n’ai plus de fils, cette coquine de blanchisseuse me l’a pris. Elle me battrait, elle m’achèverait, si elle n’avait pas peur de la justice.

Gervaise, en effet, se montrait un peu rude par moments. La baraque tournait mal, tout le monde s’y aigrissait et s’envoyait promener au premier mot. Coupeau, un matin qu’il avait les cheveux malades, s’était écrié : « La vieille dit toujours qu’elle va mourir, et elle ne meurt jamais ! » parole qui avait frappé maman Coupeau au cœur. On lui reprochait ce qu’elle coûtait, on disait tranquillement que, si elle n’était plus là, il y aurait une grosse économie. À la vérité, elle ne se conduisait pas non plus comme elle aurait dû. Ainsi, quand elle voyait sa fille aînée, madame Lerat, elle pleurait misère, accusait son fils et sa belle-fille de la laisser mourir de faim, tout ça pour lui tirer