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L’ASSOMMOIR.

Elle fut interrompue par la voix de Goujet qui l’appelait.

— Maman ! maman !

Et, lorsqu’elle revint s’asseoir, presque tout de suite, elle changea de conversation. Le forgeron l’avait sans doute suppliée de ne pas demander de l’argent à Gervaise. Mais, malgré elle, au bout de cinq minutes, elle parlait de nouveau de la dette. Oh ! elle avait prévu ce qui arrivait, le zingueur buvait la boutique, et il mènerait sa femme loin. Aussi jamais son fils n’aurait prêté les cinq cents francs, s’il l’avait écoutée. Aujourd’hui, il serait marié, il ne crèverait pas de tristesse, avec la perspective d’être malheureux toute sa vie. Elle s’animait, elle devenait très dure, accusant clairement Gervaise de s’être entendue avec Coupeau pour abuser de son bêta d’enfant. Oui, il y avait des femmes qui jouaient l’hypocrisie pendant des années et dont la mauvaise conduite finissait par éclater au grand jour.

— Maman ! maman ! appela une seconde fois la voix de Goujet, plus violemment.

Elle se leva, et quand elle reparut, elle dit, en se remettant à sa dentelle :

— Entrez, il veut vous voir.

Gervaise, tremblante, laissa la porte ouverte. Cette scène l’émotionnait, parce que c’était comme un aveu de leur tendresse devant madame Goujet. Elle retrouva la petite chambre tranquille, tapissée d’images, avec son lit de fer étroit, pareille à la chambre d’un garçon de quinze ans. Ce grand corps de Goujet, les membres cassés par la confidence de maman Coupeau, était allongé sur le lit, les yeux rouges, sa belle barbe jaune encore mouillée. Il devait avoir défoncé son oreiller de ses poings terribles, dans le premier