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Page:Zola - L'Assommoir.djvu/368

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LES ROUGON-MACQUART.

bonne amitié. Seulement, ça ne réussissait guère. Elle filait doux maintenant, elle pliait ses grosses épaules, ayant compris qu’ils s’amusaient à la bousculer, tant elle était ronde, une vraie boule. Coupeau, très mal embouché, la traitait avec des mots abominables. Lantier, au contraire, choisissait ses sottises, allait chercher les mots que personne ne dit et qui la blessaient plus encore. Heureusement, on s’accoutume à tout ; les mauvaises paroles, les injustices des deux hommes finissaient par glisser sur sa peau fine comme sur une toile cirée. Elle en était même arrivée à les préférer en colère, parce que, les fois où ils faisaient les gentils, ils l’assommaient davantage, toujours après elle, ne lui laissant plus repasser un bonnet tranquillement. Alors, ils lui demandaient des petits plats, elle devait saler et ne pas saler, dire blanc et dire noir, les dorloter, les coucher l’un après l’autre dans du coton. Au bout de la semaine, elle avait la tête et les membres cassés, elle restait hébétée, avec des yeux de folle. Ça use une femme, un métier pareil.

Oui, Coupeau et Lantier l’usaient, c’était le mot ; ils la brûlaient par les deux bouts, comme on dit de la chandelle. Bien sûr, le zingueur manquait d’instruction ; mais le chapelier en avait trop, ou du moins il avait une instruction comme les gens pas propres ont une chemise blanche avec de la crasse par-dessous. Une nuit, elle rêva qu’elle était au bord d’un puits ; Coupeau la poussait d’un coup de poing, tandis que Lantier lui chatouillait les reins pour la faire sauter plus vite. Eh bien ! ça ressemblait à sa vie. Ah ! elle était à bonne école, ça n’avait rien d’étonnant, si elle s’avachissait. Les gens du quartier ne se montraient guère justes, quand ils lui reprochaient les vi-