Page:Zola - L'Assommoir.djvu/387

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
387
L’ASSOMMOIR.

minuit. On avait fini par faire du vin à la française, dans un saladier, parce que le café donnait trop sur les nerfs de ces dames. La conversation tournait aux effusions tendres. Virginie parlait de la campagne : elle aurait voulu être enterrée au coin d’un bois, avec des fleurs des champs sur sa tombe. Madame Lerat gardait déjà, dans son armoire, le drap pour l’ensevelir, et elle le parfumait toujours d’un bouquet de lavande ; elle tenait à avoir une bonne odeur sous le nez, quand elle mangerait les pissenlits par la racine. Puis, sans transition, le sergent de ville raconta qu’il avait arrêté une grande belle fille le matin, qui venait de voler dans la boutique d’un charcutier ; en la déshabillant chez le commissaire, on lui avait trouvé dix saucissons pendus autour du corps, devant et derrière. Et, madame Lorilleux ayant dit d’un air de dégoût qu’elle n’en mangerait pas, de ces saucissons-là, la société s’était mise à rire doucement. La veillée s’égaya, en gardant les convenances.

Mais comme on achevait le vin à la française, un bruit singulier, un ruissellement sourd, sortit du cabinet. Tous levèrent la tête, se regardèrent.

— Ce n’est rien, dit tranquillement Lantier, en baissant la voix. Elle se vide.

L’explication fit hocher la tête, d’un air rassuré, et la compagnie reposa les verres sur la table.

Enfin, les Poisson se retirèrent. Lantier partit avec eux : il allait chez un ami, disait-il, pour laisser son lit aux dames, qui pourraient s’y reposer une heure, chacune à son tour. Lorilleux monta se coucher tout seul, en répétant que ça ne lui était pas arrivé depuis son mariage. Alors, Gervaise et les deux sœurs, restées avec Coupeau endormi, s’organisèrent auprès du poêle, sur lequel elles tinrent du café chaud. Elles