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L’ASSOMMOIR.

eux aussi, laissaient entendre que jamais ils n’avaient vu un plus beau couple. Le drôle, dans tout ça, c’était que la rue de la Goutte-d’Or ne semblait pas se formaliser du nouveau ménage à trois ; non, la morale, dure pour Gervaise, se montrait douce pour Virginie. Peut-être l’indulgence souriante de la rue venait-elle de ce que le mari était sergent de ville.

Heureusement, la jalousie ne tourmentait guère Gervaise. Les infidélités de Lantier la laissaient bien calme, parce que son cœur, depuis longtemps, n’était plus pour rien dans leurs rapports. Elle avait appris, sans chercher à les savoir, des histoires malpropres, des liaisons du chapelier avec toutes sortes de filles, les premiers chiens coiffés qui passaient dans la rue ; et ça lui faisait si peu d’effet, qu’elle avait continué d’être complaisante, sans même trouver en elle assez de colère pour rompre. Cependant, elle n’accepta pas si aisément le nouveau béguin de son amant. Avec Virginie, c’était autre chose. Ils avaient inventé ça dans le seul but de la taquiner tous les deux ; et si elle se moquait de la bagatelle, elle tenait aux égards. Aussi, lorsque madame Lorilleux ou quelque autre méchante bête affectait en sa présence de dire que Poisson ne pouvait plus passer sous la porte Saint-Denis, devenait-elle toute blanche, la poitrine arrachée, une brûlure dans l’estomac. Elle pinçait les lèvres, elle évitait de se fâcher, ne voulant pas donner ce plaisir à ses ennemis. Mais elle dut quereller Lantier, car mademoiselle Remanjou crut distinguer le bruit d’un soufflet, une après-midi ; d’ailleurs, il y eut certainement une brouille, Lantier cessa de lui parler pendant quinze jours, puis il revint le premier, et le train-train parut recommencer, comme si de rien n’était. La blanchisseuse préférait en prendre son parti,