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L’ASSOMMOIR.

danses devant le buffet, les dîners par cœur, dans la petite Sibérie de leur cambuse. Ce gredin de décembre entrait chez eux par-dessous la porte, et il apportait tous les maux, le chômage des ateliers, les fainéantises engourdies des gelées, la misère noire des temps humides. Le premier hiver, ils firent encore du feu quelquefois, se pelotonnant autour du poêle, aimant mieux avoir chaud que de manger ; le second hiver, le poêle ne se dérouilla seulement pas, il glaçait la pièce de sa mine lugubre de borne de fonte. Et ce qui leur cassait les jambes, ce qui les exterminait, c’était par-dessus tout de payer leur terme. Oh ! le terme de janvier, quand il n’y avait pas un radis à la maison et que le père Boche présentait la quittance ! Ça soufflait davantage de froid, une tempête du Nord. M. Marescot arrivait, le samedi suivant, couvert d’un bon paletot, ses grandes pattes fourrées dans des gants de laine ; et il avait toujours le mot d’expulsion à la bouche, pendant que la neige tombait dehors, comme si elle leur préparait un lit sur le trottoir, avec des draps blancs. Pour payer le terme, ils auraient vendu de leur chair. C’était le terme qui vidait le buffet et le poêle. Dans la maison entière, d’ailleurs, une lamentation montait. On pleurait à tous les étages, une musique de malheur ronflant le long de l’escalier et des corridors. Si chacun avait eu un mort chez lui, ça n’aurait pas produit un air d’orgues aussi abominable. Un vrai jour du jugement dernier, la fin des fins, la vie impossible, l’écrasement du pauvre monde. La femme du troisième allait faire huit jours au coin de la rue Belhomme. Un ouvrier, le maçon du cinquième, avait volé chez son patron.

Sans doute, les Coupeau devaient s’en prendre à eux seuls. L’existence a beau être dure, on s’en tire