Page:Zola - L'Assommoir.djvu/426

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
426
LES ROUGON-MACQUART.

un bon quart d’heure par terre, ne pouvant se tenir debout, à cause du sang qui ne circulait plus.

Le serrurier avait aussi imaginé un autre petit jeu. Il mettait des sous à rougir dans le poêle, puis les posait sur un coin de la cheminée. Et il appelait Lalie, il lui disait d’aller chercher deux livres de pain. La petite, sans défiance, empoignait les sous, poussait un cri, les jetait en secouant sa menotte brûlée. Alors, il entrait en rage. Qui est-ce qui lui avait fichu une voirie pareille ! Elle perdait l’argent, maintenant ! Et il menaçait de lui enlever le troufignon, si elle ne ramassait pas l’argent tout de suite. Quand la petite hésitait, elle recevait un premier avertissement, une beigne d’une telle force qu’elle en voyait trente-six chandelles. Muette, avec deux grosses larmes au bord des yeux, elle ramassait les sous et s’en allait, en les faisant sauter dans le creux de sa main, pour les refroidir.

Non, jamais on ne se douterait des idées de férocité qui peuvent pousser au fond d’une cervelle de pochard. Une après-midi, par exemple, Lalie, après avoir tout rangé, jouait avec ses enfants. La fenêtre était ouverte, il y avait un courant d’air, et le vent engouffré dans le corridor poussait la porte par légères secousses.

— C’est M. Hardi, disait la petite. Entrez donc, monsieur Hardi. Donnez-vous donc la peine d’entrer.

Et elle faisait des révérences devant la porte, elle saluait le vent. Henriette et Jules, derrière elle, saluaient aussi, ravis de ce jeu-là, se tordant de rire comme si on les avait chatouillés. Elle était toute rose de les voir s’amuser de si bon cœur, elle y prenait même du plaisir pour son compte, ce qui lui arrivait le trente-six de chaque mois.