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L’ASSOMMOIR.

occupant tout le milieu. Le long des quatre murs vides, dont le papier d’un gris pisseux montrait le plâtre par des éraflures, s’allongeaient des étagères encombrées de vieux cartons, de paquets, de modèles de rebut oubliés là sous une épaisse couche de poussière. Au plafond, le gaz avait passé comme un badigeon de suie. Les deux fenêtres s’ouvraient si larges, que les ouvrières, sans quitter l’établi, voyaient défiler le monde sur le trottoir d’en face.

Madame Lerat, pour donner l’exemple, arrivait la première. Puis, la porte battait pendant un quart d’heure, tous les petits bonnichons de fleuristes entraient à la débandade, suantes, décoiffées. Un matin de juillet, Nana se présenta la dernière, ce qui d’ailleurs était assez dans ses habitudes.

— Ah bien ! dit-elle, ce ne sera pas malheureux quand j’aurai voiture !

Et, sans même ôter son chapeau, un caloquet noir qu’elle appelait sa casquette et qu’elle était lasse de retaper, elle s’approcha de la fenêtre, se pencha à droite et à gauche, pour voir dans la rue.

— Qu’est-ce que tu regardes donc ? lui demanda madame Lerat, méfiante. Est-ce que ton père t’a accompagnée ?

— Non, bien sûr, répondit Nana tranquillement. Je ne regarde rien… Je regarde qu’il fait joliment chaud. Vrai, il y a de quoi vous donner du mal à vous faire courir ainsi.

La matinée fut d’une chaleur étouffante. Les ouvrières avaient baissé les jalousies, entre lesquelles elles mouchardaient le mouvement de la rue ; et elles s’étaient enfin mises au travail, rangées des deux côtés de la table, dont madame Lerat occupait seule le haut bout. Elles étaient huit, ayant chacune devant