Page:Zola - L'Assommoir.djvu/462

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
462
LES ROUGON-MACQUART.

allumées au milieu des coudoiements de la foule. Et il y avait encore, pour les filles restées sages comme Nana, un mauvais air à l’atelier, l’odeur de bastringue et de nuits peu catholiques, apportée par les ouvrières coureuses, dans leurs chignons mal rattachés, dans leurs jupes si fripées qu’elles semblaient avoir couché avec. Les paresses molles des lendemains de noce, les yeux culottés, ce noir des yeux que madame Lerat appelait honnêtement les coups de poing de l’amour, les déhanchements, les voix enrouées, soufflaient une perversion au-dessus de l’établi, parmi l’éclat et la fragilité des fleurs artificielles. Nana reniflait, se grisait, lorsqu’elle sentait à côté d’elle une fille qui avait déjà vu le loup. Longtemps elle s’était mise auprès de la grande Lisa, qu’on disait grosse ; et elle coulait des regards luisants sur sa voisine, comme si elle s’était attendue à la voir enfler et éclater tout d’un coup. Pour apprendre du nouveau, ça paraissait difficile. La gredine savait tout, avait tout appris sur le pavé de la rue de la Goutte-d’Or. À l’atelier, simplement, elle voyait faire, il lui poussait peu à peu l’envie et le toupet de faire à son tour.

— On étouffe, murmura-t-elle en s’approchant d’une fenêtre comme pour baisser davantage la jalousie.

Mais elle se pencha, regarda de nouveau à droite et à gauche. Au même instant, Léonie, qui guettait un homme, arrêté sur le trottoir d’en face, s’écria :

— Qu’est-ce qu’il fait là, ce vieux ? Il y a un quart d’heure qu’il espionne ici.

— Quelque matou, dit madame Lerat. Nana, veux-tu bien venir t’asseoir ! Je t’ai défendu de rester à la fenêtre.

Nana reprit les queues de violettes qu’elle roulait, et tout l’atelier s’occupa de l’homme. C’était un mon-