Page:Zola - L'Assommoir.djvu/478

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
478
LES ROUGON-MACQUART.

la forme ; et elle semblait ne s’être pas aperçue de cette fin d’une longue liaison, lentement traînée et dénouée dans une lassitude mutuelle. C’était, pour elle, une corvée de moins. Même les rapports de Lantier et de Virginie la laissaient parfaitement calme, tant elle avait une grosse indifférence pour toutes ces bêtises dont elle rageait si fort autrefois. Elle leur aurait tenu la chandelle, s’ils avaient voulu. Personne maintenant n’ignorait la chose, le chapelier et l’épicière menaient un beau train. Ça leur était trop commode aussi, ce cornard de Poisson avait tous les deux jours un service de nuit, qui le faisait grelotter sur les trottoirs déserts, pendant que sa femme et le voisin, à la maison, se tenaient les pieds chauds. Oh ! ils ne se pressaient pas, ils entendaient sonner lentement ses bottes, le long de la boutique, dans la rue noire et vide, sans pour cela hasarder leurs nez hors de la couverture. Un sergent de ville ne connaît que son devoir, n’est-ce pas ? et ils restaient tranquillement jusqu’au jour à lui endommager sa propriété, pendant que cet homme sévère veillait sur la propriété des autres. Tout le quartier de la Goutte-d’Or rigolait de cette bonne farce. On trouvait drôle le cocuage de l’autorité. D’ailleurs, Lantier avait conquis ce coin-là. La boutique et la boutiquière allaient ensemble. Il venait de manger une blanchisseuse ; à présent, il croquait une épicière ; et s’il s’établissait à la file des mercières, des papetières, des modistes, il était de mâchoires assez larges pour les avaler.

Non, jamais on n’a vu un homme se rouler comme ça dans le sucre. Lantier avait joliment choisi son affaire en conseillant à Virginie un commerce de friandises. Il était trop Provençal pour ne pas adorer les douceurs ; c’est-à-dire qu’il aurait vécu de pas-