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Page:Zola - L'Assommoir.djvu/48

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LES ROUGON-MACQUART.

— Hein ! ne m’embête pas ! répondit Coupeau, très contrarié.

Mais l’autre ricanait.

— Suffit ! on est à la hauteur, mon bonhomme… Les mufes sont des mufes, voilà !

Il tourna le dos, après avoir louché terriblement, en regardant Gervaise. Celle-ci se reculait, un peu effrayée. La fumée des pipes, l’odeur forte de tous ces hommes, montaient dans l’air chargé d’alcool ; et elle étouffait, prise d’une petite toux.

— Oh ! c’est vilain de boire ! dit-elle à demi-voix.

Et elle raconta qu’autrefois, avec sa mère, elle buvait de l’anisette, à Plassans. Mais elle avait failli en mourir un jour, et ça l’avait dégoûtée ; elle ne pouvait plus voir les liqueurs.

— Tenez, ajouta-t-elle en montrant son verre, j’ai mangé ma prune ; seulement, je laisserai la sauce, parce que ça me ferait du mal.

Coupeau, lui aussi, ne comprenait pas qu’on pût avaler de pleins verres d’eau-de-vie. Une prune par-ci par-là, ça n’était pas mauvais. Quant au vitriol, à l’absinthe et aux autres cochonneries, bonsoir ! il n’en fallait pas. Les camarades avaient beau le blaguer, il restait à la porte, lorsque ces cheulards-là entraient à la mine à poivre. Le papa Coupeau, qui était zingueur comme lui, s’était écrabouillé la tête sur le pavé de la rue Coquenard, en tombant, un jour de ribote, de la gouttière du no 25 ; et ce souvenir, dans la famille, les rendait tous sages. Lui, lorsqu’il passait rue Coquenard et qu’il voyait la place, il aurait plutôt bu l’eau du ruisseau que d’avaler un canon gratis chez le marchand de vin. Il conclut par cette phrase :

— Dans notre métier, il faut des jambes solides.

Gervaise avait repris son panier. Elle ne se levait