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LES ROUGON-MACQUART.

ne t’avise pas de te sauver, ou je te fais coucher en prison !

Le petit jeune homme avait prudemment disparu. Alors, Nana marcha devant, très raide, encore dans la stupeur de sa mauvaise chance. Quand elle faisait mine de rechigner, une calotte par derrière la remettait dans le chemin de la porte. Et ils sortirent ainsi tous les trois, au milieu des plaisanteries et des huées de la salle, tandis que l’orchestre achevait la pastourelle, avec un tel tonnerre que les trombones semblaient cracher des boulets.

La vie recommença. Nana, après avoir dormi douze heures dans son ancien cabinet, se montra très gentille pendant une semaine. Elle s’était rafistolé une petite robe modeste, elle portait un bonnet dont elle nouait les brides sous son chignon. Même, prise d’un beau feu, elle déclara qu’elle voulait travailler chez elle ; on gagnait ce qu’on voulait chez soi, puis on n’entendait pas les saletés de l’atelier ; et elle chercha de l’ouvrage, elle s’installa sur une table avec ses outils, se levant à cinq heures, les premiers jours, pour rouler ses queues de violettes. Mais, quand elle en eut livré quelques grosses, elle s’étira les bras devant la besogne, les mains tordues de crampes, ayant perdu l’habitude des queues et suffoquant de rester enfermée, elle qui s’était donné un si joli courant d’air de six mois. Alors, le pot à colle sécha, les pétales et le papier vert attrapèrent des taches de graisse, le patron vint trois fois lui-même faire des scènes en réclamant ses fournitures perdues. Nana se traînait, empochait toujours des tatouilles de son père, s’empoignait avec sa mère matin et soir, des querelles où les deux femmes se jetaient à la tête des abominations. Ça ne pouvait pas durer ;