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LES ROUGON-MACQUART.

comme si le fil-en-quatre avait mis une musique nouvelle dans sa gorge. Il devint sourd d’une oreille. Puis, en quelques jours, sa vue baissa ; il lui fallait tenir la rampe de l’escalier, s’il ne voulait pas dégringoler. Quant à sa santé, elle se reposait, comme on dit. Il avait des maux de tête abominables, des étourdissements qui lui faisaient voir trente-six chandelles. Tout d’un coup, des douleurs aiguës le prenaient dans les bras et dans les jambes ; il pâlissait, il était obligé de s’asseoir, et restait sur une chaise hébété pendant des heures ; même, après une de ces crises, il avait gardé son bras paralysé tout un jour. Plusieurs fois, il s’alita ; il se pelotonnait, se cachait sous le drap, avec le souffle fort et continu d’un animal qui souffre. Alors, les extravagances de Sainte-Anne recommençaient. Méfiant, inquiet, tourmenté d’une fièvre ardente, il se roulait dans des rages folles, déchirait ses blouses, mordait les meubles de sa mâchoire convulsée ; ou bien il tombait à un grand attendrissement, lâchant des plaintes de fille, sanglotant et se lamentant de n’être aimé par personne. Un soir, Gervaise et Nana, qui rentraient ensemble, ne le trouvèrent plus dans son lit. À sa place, il avait couché le traversin. Et, quand elles le découvrirent, caché entre le lit et le mur, il claquait des dents, il racontait que des hommes allaient venir l’assassiner. Les deux femmes durent le recoucher et le rassurer comme un enfant.

Coupeau ne connaissait qu’un remède, se coller sa chopine de cric, un coup de bâton dans l’estomac, qui le mettait debout. Tous les matins, il guérissait ainsi sa pituite. La mémoire avait filé depuis longtemps, son crâne était vide ; et il ne se trouvait pas plus tôt sur les pieds, qu’il blaguait la maladie. Il n’a-