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LES ROUGON-MACQUART.

Seigneur ! quelle misère et quelle pitié ! Les pierres auraient pleuré. Lalie était toute nue, un reste de camisole aux épaules en guise de chemise ; oui, toute nue, et d’une nudité saignante et douloureuse de martyre. Elle n’avait plus de chair, les os trouaient la peau. Sur les côtes, de minces zébrures violettes descendaient jusqu’aux cuisses, les cinglements du fouet imprimés là tout vifs. Une tache livide cerclait le bras gauche, comme si la mâchoire d’un étau avait broyé ce membre si tendre, pas plus gros qu’une allumette. La jambe droite montrait une déchirure mal fermée, quelque mauvais coup rouvert chaque matin en trottant pour faire le ménage. Des pieds à la tête, elle n’était qu’un noir. Oh ! ce massacre de l’enfance, ces lourdes pattes d’homme écrasant cet amour de quiqui, cette abomination de tant de faiblesse râlant sous une pareille croix ! On adore dans les églises des saintes fouettées dont la nudité est moins pure. Gervaise, de nouveau, s’était accroupie, ne songeant plus à tirer le drap, renversée par la vue de ce rien du tout pitoyable, aplati au fond du lit ; et ses lèvres tremblantes cherchaient des prières.

— Madame Coupeau, murmura la petite, je vous en prie…

De ses bras trop courts, elle cherchait à rabattre le drap, toute pudique, prise de honte pour son père. Bijard, stupide, les yeux sur ce cadavre qu’il avait fait, roulait toujours la tête, du mouvement ralenti d’un animal qui a de l’embêtement.

Et quand elle eut recouvert Lalie, Gervaise ne put rester là davantage. La mourante s’affaiblissait, ne parlant plus, n’ayant plus que son regard, son ancien regard noir de petite fille résignée et songeuse, qu’elle fixait sur ses deux enfants, en train de découper leurs