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LES ROUGON-MACQUART.

Est-ce qu’elle ne venait pas d’apprendre le matin même que, pendant huit jours, on avait aperçu Coupeau, rond comme une balle, roulant les marchands de vin de Belleville, en compagnie de Mes-Bottes ! Parfaitement, c’était même Mes-Bottes qui finançait ; il avait dû jeter le grappin sur le magot de sa bourgeoise, des économies gagnées au joli jeu que vous savez. Ah ! ils buvaient là du propre argent, capable de flanquer toutes les mauvaises maladies ! Tant mieux, si Coupeau en avait empoigné des coliques ! Et Gervaise était surtout furieuse, en songeant que ces deux bougres d’égoïstes n’auraient seulement pas songé à venir la prendre pour lui payer une goutte. A-t-on jamais vu ! une noce de huit jours, et pas une galanterie aux dames ! Quand on boit seul, on crève seul, voilà !

Pourtant, le lundi, comme Gervaise avait un bon petit repas pour le soir, un reste de haricots et une chopine, elle se donna le prétexte qu’une promenade lui ouvrirait l’appétit. La lettre de l’asile, sur la commode, l’embêtait. La neige avait fondu, il faisait un temps de demoiselle, gris et doux, avec un fond vif dans l’air qui ragaillardissait. Elle partit à midi, car la course était longue ; il fallait traverser Paris, et sa gigue restait toujours en retard. Avec ça, il y avait une suée de monde dans les rues ; mais le monde l’amusait, elle arriva très gentiment. Lorsqu’elle se fut nommée, on lui en raconta une raide : il paraît qu’on avait repêché Coupeau au Pont-Neuf ; il s’était élancé par-dessus le parapet, en croyant voir un homme barbu qui lui barrait le chemin. Un joli saut, n’est-ce pas ? et quant à savoir comment Coupeau se trouvait sur le Pont-Neuf, c’était une chose qu’il ne pouvait pas expliquer lui-même.

Cependant, un gardien conduisit Gervaise. Elle