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LES ROUGON-MACQUART.


— Restez un instant, si vous voulez, dit-il à la blanchisseuse ; mais tenez-vous tranquille… Essayez de lui parler, il ne vous reconnaîtra pas.

Coupeau, en effet, ne parut même pas apercevoir sa femme. Elle l’avait mal vu en entrant tant il se disloquait. Quand elle le regarda sous le nez, les bras lui tombèrent. Était-ce Dieu possible qu’il eût une figure pareille, avec du sang dans les yeux et des croûtes plein les lèvres ? Elle ne l’aurait bien sûr pas reconnu. D’abord, il faisait trop de grimaces, sans dire pourquoi, la margoulette tout d’un coup à l’envers, le nez froncé, les joues tirées, un vrai museau d’animal. Il avait la peau si chaude, que l’air fumait autour de lui ; et son cuir était comme verni, ruisselant d’une sueur lourde qui dégoulinait. Dans sa danse de chicard enragé, on comprenait tout de même qu’il n’était pas à son aise, la tête lourde, avec des douleurs dans les membres.

Gervaise s’était rapprochée de l’interne, qui battait un air du bout des doigts sur le dossier de sa chaise.

— Dites donc, monsieur, c’est sérieux alors, cette fois ?

L’interne hocha la tête sans répondre.

— Dites donc, est-ce qu’il ne jacasse pas tout bas ?… Hein ? vous entendez, qu’est-ce que c’est ?

— Des choses qu’il voit, murmura le jeune homme. Taisez-vous, laissez-moi écouter.

Coupeau parlait d’une voix saccadée. Pourtant, une flamme de rigolade lui éclairait les yeux. Il regardait par terre, à droite, à gauche, et tournait, comme s’il avait flâné au bois de Vincennes, en causant tout seul.

— Ah ! ça, c’est gentil, c’est pommé… Il y a des chalets, une vraie foire. Et de la musique un peu chouette ! Quel Balthazar ! ils cassent les pots, là de-